Sanctuaire magique, le studio.

Assister à un shooting photo, participer au rite d’initiation, la dévotion au beau, une quête vers la perfection.
L’on doit, si l’on veut participer, procéder à des préparatifs, suivre un programme dans la production d’un événement, certes, qui n’est pas une cérémonie dédiée à la vaste spiritualité, on doit cependant se dévouer ensemble pour un « thème », assurer une bonne entente où chacun et chacune tient un rôle dévolu dans la bonne exécution, tenir un rang consenti.
Chaque intervenant maitrise différentes données, leurs variables, un langage, des codes dans tous ces traitements jonglant entre la technique, les ampères, l’esthétique, ou depuis les asa qui forment pixels, tous ces facteurs sont autant de soutiens pour l’inspiration : ce moment tendu vers l’effort de la réalisation, cette concrétisation, pour la photographie.
Le Shoot !
Dans le cadre privilégié de ces studios, quand on en franchit le seuil on fraye un entre soi feutré, celui des privilèges, car l’on fait partie de ce monde.

Cette ambiance toute studieuse est énergique, il s’y hume une concentration d’ozone psychique influant sur le physique, le ton des échanges, certaines tensions, des jalousies amicales figent le temps, toutes ces démonstrations, ou ces silences, ces tensions sont autant de courants porteurs d’échanges, tous dévoués à nourrir un pouvoir total.
Celui du, de la photographe, il ou elle est le maître, pas la maîtresse…
C’est le client qui a toujours raison.
L’artiste photographe distribue et dirige les énergies, au pouvoir de son seul œil, ce don unique grâce auquel se réalise le maximum, s’accomplit une inspiration, c’est une intervention magistrale, c’est la photographie.
Le shoot !
Enfin cela l’était lorsque l’on débutait dans cette arène de l’excellence, ce métier du rêve, un tourment désiré, pour lequel on était résolu à tous les sacrifices. D’abord pour l’accès au plateau, auquel on accède par l’autorisation, cette qualité aussi sensible chez certains artistes, photographes professionnels, en terme d’intimité, que l’accès à une chambre intime. On parle d’ailleurs de ces shootings à la Chambre – photographique- .. et on se méprend au début de sa carrière, cela fait rire, ce n’est pas une séance de poses sous les draps, mais de prises de vues par le biais d’un appareil couteux à soufflet et aux optiques permettant une ouverture maximale.
Figer le mouvement dans cet écart de presque rien que sculpte la lumière sur un sujet : « là ! oui ! « Beautifull, yeah Darling ! ». Chant d’extase, rythmé par les soupirs mécaniques jaillissant dans un intervalle coordonné aux cliquetis de l’appareil, les « Pshi /Shtac/Clic » des flashs, produisant l’éclair d’aveuglement, qui fixe la merveille – ça y est la photo est prise !
Cet élégant modèle a quitté le commun des mortels, suite à un rituel long, savant, couteux, cette heure passée en cabine, qui sont ces longues heures ou le reste du plateau patiente, qui l’auront rendue encore plus divine. La charmante adolescente un peu vouté, qu’on avait accueilli au café est devenue un phénomène théâtral, avec un make-up qui lui colle au minimum dix ans de plus. Son derme est tendu par les apprêts de couches, sous couche, bases, fondations, anticernes, poudres, liners, même si c’est un make-up à l’effet Nude, la voilà nue mais fardée…. Cette construction est la couverture faciale qui doit lui servir d’armure sous l’assaut des lumières du plateau. On préparait les cadavres égyptiens pour le voyage dans l’au-delà sans doute avec moins de fioles, d’onguents, de parfums et autres voiles parfumés.
Ce rituel de célébration du vivant pour l’au-delà, où le make-up agit comme un make-over, dans la dévotion au beau est une cérémonie du talisman, quand nous quittons le domaine de la chair, le modèle sera un objet, et cette cérémonie s’appellera « le shoot ! » de Nature Morte…
Si l’ambiance sur ce plateau est plus détendue, elle reste concentrée, l’on prendra grande attention à ne pas porter de traces, les gants sont de rigueur. Plus de poudre mais des bombes à air qui chassent la poussière.
Le souci commun regroupe cette équipe autour du sens de l’inclinaison de l’objectif, l’orientation des lumières, le choix des fonds, toutes les subtilités de la lumière qui doit être irréprochable, cette netteté, la clarté, une propreté d’un éclairage chiadé, un ensemble sans défaut. Autant d’efforts conjugués autour d’un sac, une statue, un tableau, une bouteille, un soulier, une paire de baskets. Liste au paradis consumériste qui va du plus commun, au sublime diamant du Bengale. Tous ces biens passeront sous les dardants rayons des flashs du plateau et y seront photographiés avec une minutie confinant au maniaque, tous ces sujets sans âme acquièrent par la vertu d’excellence de ce shoot l’aura du fétiche.
Tout pour l’objet, doit tendre à la sublimation de sa perfection formelle, dans toutes ces arrêtes, ces faces, jusqu’aux moindres détails même les plus ordinaires, les œillets d’un lacet, la couture d’une anse, seront autant, voire plus, scrutés que le bacille ou l’atome par le scientifique. Examinés avec une attention décuplée par le nombre d’intervenants. Chacun des participants sur le plateau veillant à cette haute réalisation : la perfection totale d’un cliché qui signera le rendu parfait de la matière.
Élever la matière est l’un des pouvoir divin de l’art, ce pouvoir de la sublimation des sujets triviaux de la vie quotidienne, des biens et des saveurs, du temps qui passe sont peint avec minutie et splendeur dans les Vanités.
Pratique de genre, collection des studiolos, ces œuvres accomplies par les peintres de l’époque classique rivalisaient dextérité dans leurs formats d’interprétation.

Discipline artistique du peintre qui appliquait des vertus d’excellence, signalées dans des motifs où la perception aguerrie par une lecture contemplative, celui d’un commentaire intellectuel du temps, les traits d’esprits étaient distribués dans la description de signes, ralliant des significations personnifiées dans une mise en scène figé, un espace-temps sublimé.
Autant d’objets assemblés tels les indices d’un crime, une littérature d’objets aux significations émiettées dans les traces des moindres détails soulignant l’allusion mordante de notre destination finale, l’amertume commune signalée par ce crane et son os anonyme portant la touche finale au tableau. Chef d’œuvre.

Tous ces éléments témoignaient d’un aveu d’adoration pour l’altérité, ce temps qui passe, l’hommage de la mort dans l’acmé du beau, l’obsédante conscience de cette seule Mort qui nous épie au sein même de cette table encombrée par la vie. Toute une richesse d’interprétation s’y offrait dans la valeur de symboles. Ces ensembles de patience, les reliefs d’un repas solitaire, où s’étageaient dans une architecture des sens le signal de multiples sous-entendus, parfois placés là comme au hasard, mais résumant le portrait civil d’une personne connue, ou la réputation illustre d’un familier du peintre. Cartes, volumes, grimoires, chaines d’or et pots de bières, huitres et plats en étain. Comme la désignation secrète destinée à un mouvement de lettrés ou de savants. Jusque dans les plats à poissons dont les écailles en leurs reflets gibbeux, coupés en tranches réfléchissaient les éclats d’une légende, illustrant la brève causticité d’un trait d’esprit ou l’holistique sagesse d’une philosophie nouvelle.
Outre que ces œuvres de patience et de virtuosité étaient le modèle d’un genre, c’étaient aussi des conversations, des commentaires, des duels auxquels se livraient les peintres en leurs temps. Peintres, maitres témoins dont l’œil illustrait avec une sagacité proverbiale, le passage de la rumeur du temps dans un atelier, une ville, les commentaires des réputations d’une cour Royale, les conflits d’influence dans une résidence Duccale, ou les vulgaires drames d’un adultère bourgeois.

Ces travaux se distinguaient ainsi dans leur nature iconographique du commentaire.
La prodigalité du peintre jouait à l’essai sociologique ou plutôt à l’humanisme. Les blasphèmes se trouvaient fragmentés dans la bénignité des sujets, leurs outrages dilués dans la lumière, les difractassions des reflets, tous ses effets dans une composition dédiée à l’excellence de rendu d’une texture, cette passe d’armes achevée dans la virtuose dextérité d’une touche de l’huile et du pigment déposé délicatement au pinceau en poil de martre.
LEFTOVER
Cette virtuosité dans le souci du détail, dans la capture de la volatilité supposée ou rêvée d’un élément, aux qualités bravant les lois de la physique, Isabelle Bonjean la soumet à sa pratique de photographe de Natures Mortes, dans cet essai récent, des éditions de photographies en tirages fascinant, les LEFTOVER, où s’animent des objets, fleurs, rubans, papiers nacrés, pierres et orbes iridescents animés d’une vie remarquable.
Une série de shooting dédiée à ‘’ce qui reste en studio’’. Oubliés sont ces éléments ou ces ustensiles, abandonnés, et ces accessoires entre autres éléments avec autant de bouts de quelques riens. Ces riens mutent en volumes aux éclats manipulés, dont les transparences, les rugosités, les rondeurs, orbes, zig-zag, pierres et cristaux sont assemblé, elle les élance, les éclaire et en distingue la substance.
Les bouquets flottent en globuleuses compositions.

Tous maintenus en l’air, comme les diables et angelots des plafonds de Venise, dans une stase magique, ces pierres, globes, gouttes d’eaux rondes flottent dans un cadre en apesanteur. Nous avons le coin et l’ombre en base du tirage comme seul témoin de leur réalité, et cette ombre portée aussi qui détale, comme une grimace fantôme, cette ombre filante jouerait elle le rôle du crâne grimaçant, elle qui serait juste apparue au gré du coup de tonnerre du flash.
Cette série dont l’origine est en essence une simple note en bas de page, un jeu de patience, à laquelle elle aura voulu se consacrer pour en produire plus qu’une esquisse. Réalisation et concrétisation d’un idéalisme plastique, augmenté par la magie nouvelle du traitement numérique, qui permet de nombreuses passes magiques, mais dont la maitrise formelle demande une attention maniaque, dans la finalisation d’une image, dans la réalité de ce qui n’est pas, mais finalement qui aboutit à une vérité imprimée dans un tirage prestigieux, devant nos yeux.
Plus beau que le vrai.
Cette pratique qu’elle nomme « Floating Nature » ou « Blue Studies », entre autres, elle l’aura exécutée dans sa solitude partagée avec le monde entier, cette période de crise ou cloitrés sur nous même, nos ressorts récréatifs détendus, nos réconforts vaquant convoquaient pour certaines et certains les meilleures volontés.

Tous, nous étions tendus vers la réalisation de cette conscience qu’à nous même nous serions encore meilleurs, si pour nous retrouver ensemble, nous consentions à rester au meilleur de nous-même.
Ce temps en suspens nous servait finalement à explorer avec bienveillance les facettes laissées de côté de nos existences, préservés pour un temps à honorer, loin des logiques de concurrence et des comparaisons, des commerces et du concours. Nous pouvions être un peu nous-même, respirer, écouter les chants des oiseaux et voir passer les nuages, c’était aussi la meilleure manière d’en sortir aussi par le haut, en élévation, et en sublimer le trivial, pour atteindre par les vertus de l’apesanteur, à l’insouciance de la légèreté.






