Nineteen 85

Ce qui motive mon post sur l’exposition de Keith Haring en 1985.

La vie du Christ – triptyque Keith Haring. Réalisé en creusant l’argile, il fut fondu en neuf exemplaires de bronze recouvert d’une patine à l’or blanc

« Avec une grande économie de signes et la maîtrise d’un dessin automatique Keith Haring s’approprie un univers de stéréotypes réservé à la communication de masse, qu’il parvient à dégager de ses origines : chacune des figures acquiert un sens autonome jusqu’à témoigner de l’existence d’un Style. (…) l’origine des signes relevés à l’intérieur des dessins de Keith Haring est toujours aisément identifiable, qu’elle s’apparente aux graphismes de bande dessinée ou à des tracés symboliques (..) spirale cercle ou croix (..) c’est le mixage de l’ensemble de ces références (…) leur mode d’apparition à l’intérieur de l’image ( …) induisent une multiplicité d’émotions (..) : peur, joie, violence, répulsion, danger, , bruit, vitesse …

( …) c’est d’une manière paradoxale que les images de Keith Haring nés du commerce contemporain de la télévision et de la télématique, demeurent intentionnellement conservatrices d’une tradition iconographique extrêmement ancienne. »

Sylvie Coudert CAPC catalogue exposition 1985.

Lors d’une visite à l’église des halles, à Saint Eustache je cherchais l’emplacement du triptyque d’or blanc de Keith Haring (1).  Les formes caractéristiques de ces personnages et leurs actions envolées et radiantes, que l’artiste actionne pour « une vie du Christ », avec ces traits caractéristiques comme embossés et gravés, dans une exécution digne d’une visitation de retable d’orfèvre. Les motifs furent en fait tracés sur plaque d’argile puis fondu en bronze et recouvert d’or blanc. C’est une de ses dernières œuvres, exécutée peu avant son décès et offerte par l’artiste et sa fondation. Le triptyque est dressé en hommage aux disparus de l’épidémie de Sida, dans la chapelle St Vincent de Paul. Elle me cherchait, je voulais y être et m’y recueillir en souvenir de mes amis et compagnons disparus.

En 1985, l’exposition au CAPC était une énorme consécration et un hommage gigantesque pour une expression d’un artiste émergent, c’est à se demander comment et quel artiste émergent aujourd’hui pourrait accéder à ce type de consécration surgissant. Sa première exposition datant de 1981, qui pourrait réunir aujourd’hui autant de surface afin d’emplir la quasi-totalité des salles d’expositions aux entrepôts Lainé.

L’exposition événement de Keith Haring, avec des représentations d’une diversité riche et intrigante, en lien avec la culture multi canal d’un jeune américain éduqué dans les années 60/70, et qui n’étaient sans doute pas estimées à leur juste valeur pour l’époque, excepté par les animateurs culturels, tels Jean Louis Froment et les galeries qui le défendaient (USA, Japon, Europe). Cette énergie dans ses réalisations, cette façon d’imaginer par le trait comme une conversation commune, de dresser et d’établir le paysage de 10 formats gigantesques dans la nef centrale, avec un sujet monumental qui convoquait l’histoire humaine, mentale, morale, comme un mémoire pour notre monde. Cette époque : l’ère de Reagan/ Thatcher et MTV, des banquiers, des stock-options, et des jeunes, cibles et victimes d’un marketing, où les robinets à contenu et de dispersion des cultures urbaine et populaires. Dieu – Dollars -TV siphonnait au maximum leur courant vital.      

Pages catalogue CAPC et image Sud Ouest Keith Haringe t jeune public en 1985.

Keith Haring concentrait dans son exécution cette fenêtre sur cette réalité temporelle. La tentative, toute honorable, du monde de l’art et de ses critiques sicaires et arbitres d’une institution avide de le relier à des mouvements et des artistes phares afin de la situer et légitimer cette exposition. C’était avant tout aussi une manière d’échapper à la réelle portée de valeur que « la communication » son pouvoir et ses symboles concentraient dans ses signes et ses sketchs. Ce qui était son lien, cette ligne, ce fil, ce câble d’intérêt/ avant le câble d’internet. Ce qui se révèle être un amusant hublot de spontanéité lexicale.   

Digital Shaman 

On découvre dans son journal quelques lignes à la prescience confondante, où il compare le pouvoir de l’ordinateur et des réseaux de distribution numériques comme un instrument de contrôle ultime. Une vision qui préfigure l’étendue des pouvoirs de manipulation que seront les réseaux sociaux et des étendues folles de possibilités d’internet. Des sujets qui alimentaient l’esprit « shaman digital » de Keith Haring. Enthousiaste, ce super bon client du courant qui animait les jeunes et les enfants, communicant déjà comme toute influenceur, avec les moyens du moment, fax, telex, photocopies, entre autres médias pré communication digitale via le téléphone. Tous les contacts professionnels et privés, collectionneurs, amis et sphère de la nuit et du show bizz avec lesquels il avait noué par le biais de ses rencontres et de ses expositions (dont on retrouve l’agenda des détails, dans les pages du journal).     Son énergie et sa franchise simple nourrissait toutes ses rencontres de moments d’accords, qui sont aussi cette nourriture spirituelle des people et autres vedettes en relations avec l’énergie créatrice d’artistes.                                                        Keith Haring conjuguait l’esprit du temps dans ces vastes représentations et ses schémas et scène de personnages, dans son rapport avec le monde imprimé, la gravure, la trace, l’empreinte c’est aussi une donnée d’influence primordiale qui saute au visage, lors de ses performances. C’était avant tout un grand téléscripteur humain, mais aussi un performeur qui s’est épuisé et régénéré dans ces moments de liesses de présentation, de « compète », dans ce qui est une autre donnée du monde du graff et street art et qu’il a appliqué et mis à disposition d’un monde de l’art, avide de courants alternatifs et comme un créateur perpétuel d’œuvres à disposition de collectionneurs avides. Quitte à se bruler, en se boostant de cocaïne et d’héroïne disponibles, drogues qui auront épuisé, lié et finalement t abattu Jean Michel Basquiat, copain du coin de la rue en son temps, tiraillé et crucifié par son entourage, par les sommes qu’atteignaient déjà ces œuvres et sa vie consumée dans un sacrifice libératoire d’une expression depuis captée par le marché de l’art.

Keith et Andrée Putman au CAPC 1985 ©André Morain

Médium d’une enfance de l’art.

Aux USA quand on « tient » son médium, son incarnation, sa réalisation c’est une révélation à laquelle on s’accroche et que l’on s’applique à mettre en exergue. Ce n‘est pas encore une œuvre mais c’est aussi un business. Puis, cela devient un capital d‘exécution et de réalisation, une œuvre. On aperçoit cette notion d’émergence et de concrétisation, dans le récent documentaire sur Paul Reuben/ Pee Wee Herman ( le film Pewee’s Adventures sort en 1985). La manière dont se met en valeur sa création originale et son exécution, au travers de sa maison animée folle et foutraque, les personnages qui s’additionnent au fil du temps et s’imposent pour un public d’enfants et d’adultes aux yeux et à la disponibilité d’esprit d’enfance dans ses spectacles extatiques.  On peut porter ce parallèle de la spontanéité et de la confiance, dans l’entente naturelle entre Keith Haring et les enfants. Dont le Radiant Child son logotype médium copain et mentor de nombreux créateurs qui s’adressent aux enfants. La figure de l’enfant radieux apparaît comme la signature de Keith Haring en 1981, la même année que le film ET de Steven Spielberg – signalant le pouvoir de l’esprit de l’enfance comme phare de cette décade et la trace d’un emblème du pouvoir de la joie de création considérée comme force naïve par les caciques de l’art et de ses forces adultes du marché – une radiante franchise  qui irrigue la profusion de création de ces marques de Keith Haring. Le radiant child en enseigne à néons inondera même Times Square en 1982. Ces esprits d’enfant, considérés comme une masse de cerveaux et de sensibilités disponibles, laissés seuls assis devant des écrans. C’es impressionables qu’un Jim Henson traite comme des personnes sensées qu’il est indispensable de rassurer et d’amuser avec ces Muppets et Sésame Street. Ou guider dans leurs émotions et tourments en suivant la voix du fabuleux Mr Rogers dans les émissions du  « Mister Roger’s Neignboor », ce présentateur des émissions de gestion des sentiments et du dialogue intérieur sur le réseau PBS. Une classe d’homme à part que ce présentateur, qui tire encore des larmes à un Grayson Perry dans une interview récente décrivant ces goûts et ces motifs d’inspirations (chaine hollandaise). On pourrait aussi tirer ce parallèle de l’influence à l’indépendance, avec cette masse de culture disponible transformée par les créateurs graphiques de comics, où les drames et les introspections accompagnent et illustrent la transformation et l’élévation des super héros en prise d’aventures cosmiques. Keith Haring vient de cette culture-là, affiné et affermie par son passage à la School of Visual Arts de Manhattan dans sa bravoure à se lancer seul dans New York, ses affaires déposées avec son père en voiture (après les 2h et demi de voiture depuis Kuztown) au coin de deux avenues et qui ne sait pas où se garer, donc ils rushent pour sortir ses affaires (une anecdocte à retrouver dans page Ingrid Sischy) . Débarqué sur l’avenue en face du YMCA, où tout est compris l’ambiance et la camaraderie (selon les célèbres lyrics du Village People)…

« 2 wankers in lines ».. Catalogue CAPC 1985

Rush and dance.

Le rush c’est l’adrénaline qui infuse toute la recherche dans la liberté de son expression, il pense en images sa déclaration d’indépendance artistique et son homosexualité. Comment la vivre autrement, si ce n’est au maximum de ses possibilités, dans le New York de cette époque où les melting pots et la scène de clubbing, comme la décrit si bien Didier Lestrade, témoigne du cœur battant de cette génération sacrifiée au virus. Une scène pourtant cruelle et dépréciative, basée sur l’ouverture et la sélection, le désir et la frustration, convenir ou pas aux yeux de celui qui recherche un partenaire dans une transaction tacite, en un clin d’œil, un haussement d’épaule, un sourire, une intonation de voix, même de dos, on n’a jamais mieux dragué que les garçons à qui on s’adresse de dos..une énergie.

Cette énergie infuse et irrigue la création qui émerge dans ses expressions et dans sa trademark, le trait. Trait reconnaissables dans l’envahissement en « all over » des pages, des formats, des  murs et espaces par Keith Haring. Quand aujourd’hui on se contentera de l’estimer au travers de sa cote, sa signature est tout ce qui reste de sa seule création, son signe comme un tourment triste. Lorsqu’est produit cette exposition au CAPC, c’était une événement d’hiver qui bouge et remue et quelque part circule et diffuse encore l’énergie et les commentaires qu’inspirent et projettent cette série des 10 commandements et de ce radiant Child, figure « garçon » d’ascenseur, en élévation toujours. L’élévation, comme les prières miaulement de désir de Donna Summer (1977 /I Feel Love), de Sylvester (1979/You Make Me Feel), ou les statements / déclarations des groupe de Raps et des acteurs du mouvement Hip Hop. Il croise les membres du grand master Flash et autres RUN DMC qui le regardent et lui parlent « comme ce garçon-là », cet homo qu’ils méprisent mais estiment également, dans sa valeur sociale et sa célébrité, ils sont bien obligés de l’accueillir comme d’autres figures et ces bonnes vibrations du temps, dans les coulisses de leurs prestations comme un acteur agissant cette époque. C’est aussi Madonna qui lui indique les garçons intéressant au club 57.

Voilà ce qui manque cruellement dans ces hommages, le courant électrique et la joie du partage..

(1). https://www.coupefileart.com/post/la-vie-du-christ-le-chef-d-oeuvre-religieux-de-keith-haring