Autoportrait d’un territoire

Coin de l’entrepot Lainé, où s’élance l’escalier qui mène à l’étage des expositions d’Arc en R^ve.©B Boucquey

« À quoi ressemblerait le portrait du territoire ubain et péri-urbain habité par les 1620 000 habitantes et habitants qui se répartissent entre la métropole bordelaise et la Gironde ? Imaginée par Arc en R^ve, « Nouvelles saisons » est une plateforme ouverte, en vue de répondre à cette question. Elle rassemble des récits, des explorations et des documents qui proposent une lecture d’ensemble de ce territoire marqué par de profondes transformations sociétales et environnementales. Plus de 50 contributions brossent un portrait participatif, offrant un espace de débat sur le futur de la région. »

Antonio Del Vecchio La Garonne et le quartier de Brazza-serie / Traversée improbable

Un, parmi les « nouveaux, » bo.bo.bo-Bordelais ! Encore tout résonnant des noms qu’il aura découvert dans sa première décennie d’habitation dans le territoire.                                           Entre les termes de métropole, Garonne, bassin, entre deux mers, Médoc, d’Arcins, Lateste, Le Tourne, Langoiran, Langon, La Réole, Soulac se sont bousculés entre autres qualités périlleuses aux prononciation accentuées que sont les Blaye ou Cadaujac.

Alors, que la différence intrinsèque restera ce jeu récurent des confusions entre Mérignac et Mériadec qui aura capitalisé entre autres mes facultés de mémorisation, d’adaptation et de compréhension.                                                        J’avais acquis en 2015 l’ouvrage d’Émile Victoire, nom d’auteur d’un collectif de sociologues enseignants-chercheurs à l’université Victor-Segalen-Bordeaux-II, « Sociologie de Bordeaux » chez Mollat.                               

Une belle découverte en soi, dans une des plus grandes librairies indépendantes de France. Une sociologie sur la ville et les habitants de Bordeaux afin de saisir et de comprendre les sens des développements, la mutation de la ville, depuis les années post guerre et post années 70, et l’envol artistique des années 80 jusqu’à la ville couronnée d’UNESCO aujourd’hui.                                                        Ses façades sablées au XXIe siècle de sa noirâtre morgue, aux trams qui sont parfois absents pour cause de malaise des rails, aux big bus qui malgré leurs artères réservées remuent sec, toutes les générations de voyageurs sur les longues distances de la métropole en traçant une ligne arbitraire primant depuis Gradignan jusqu’aux confins de St Aubin du Médoc. Dans cet espace de ville horizontale, quoique soumise à certaines élévations qui ont toujours nourri les polémiques. Profitant et pratiquant de la politique des mobilités actives, douces certes mais clivantes et d’un gout pour les déambulations dans la beauté d’une ville qui la nuit découvre en ses ombres portées des révélations toutes en angles et contours de son passé feuilleté.

Ces lieux dits, sont connus de tous les habitants dans une litanie des localisations, qui ne sont ni des adresses de rues, ni des points de repérages fermes et qui entretiennent la confusion du nouvel arrivant tentant la péripatétique thérapie du nez levé provoquant un sentiment de malaise. Mais, cela passe et on s’habitue.            

Alors qui habite, qui vit, comment vibre, et de quoi se passionne ou s’investit la population qui forme la trame de cet autoportrait d’un territoire ? Peut-on encore découvrir d’autres vignettes de son originale authenticité, au-delà de la réputation de sa société un peu renfermée sur son exclusivité.                                           Puisque l’on est invité au « centre d’architecture de Bordeaux » dans une plongée observatoire des réalités de ce territoire et de ces habitants ?

Sabine Delcour pour Bordeaux Metropole Merignac Soleil photo Sabine Delcour 2024

Les autoportraits d’un endroit sont aussi leurs histoires et portent des interprétations vastes et fluides, presqu’autant que les analyse des techniques et des inspirations des autoportraits d’artistes les plus divers. En foisonnant parmi les100 connus de Rembrandt, tendre et cruel avec son âge, les dizaines d’Albrecht Dürer aux interrogations métaphysiques, les plus de 150 du Pablo Picasso en ses périodes plastiques et sentimentales ou les très diverses et psychanalytiquement versatiles et torturées qui éclairent la personnalité chahutée d’un Edward Munch.

C’est, entre autres parmi cette variété polyphonique des psychologies, et une polysémie colorée des savoirs, entre autres, dans les constructions et leurs matériaux parfois sensibles, sans prévalence dans les représentations, ce qui motivait l’appel à intérêt lancé par l’équipe d’Arc en Rêve à l’origine de l’exposition en 2023.

Atelier Provisoire -Tours 1-2 Cite blanche
Bordeaux-Benauge 2024

Il était question de constituer un ensemble, ou plutôt un corps majeur d’ensemble pour cette exposition multiple, mêlant architecture, urbanisme, lieux de vies, rituels et paysages intimes.                                                                                                               Dans une narration des êtres en mouvement, leurs souvenirs du présent, leur réalité, les coutumes et entre autres usages du coin, constituait un « appel à contribution » qui était lancé auprès de créateurs, architectes, graphistes et acteurs de son paysage plastique.                                                                                                               Et les réponses vinrent, depuis, les cabinets d’architectes, aux collectifs et associations émaillant les représentations du territoire Bordelais dans son extension circulatoire de la Garonne. il se constitua une « plateforme » se partageant depuis les  extensions des séjours océaniques ou du bassin, jusqu’aux terres des landes et de la forêt afin que soit englobée la variété dans cette Girondine inquisition.                                                        Ce qui apparait, et comment une tribu humaine organise son environnement, se questionne et se retrouve autour de telle ou telles questions, générationnelles, dans ses catégories sociales, ou part quels auteurs de vues elle se pare.                                                         Les voisins, le pratique, les incessantes remugles professionnels et des activités, où et comment se place-t-on, quand on pense son quotidien puisque de nombreux témoignages présentés dans les salles du premier étage, datent également de l’épisode de la grande stagnation, ou ce confinement, avec cette vie intérieure des années 2020, qui n’a pas engendré que des chefs d’œuvres.                                                                                                               Les équipes d’Arc en R^ve, pilotés avec délicatesse et alacrité par Fabrizio Gallanti ont donc sélectionnés parmi plus de 60 propositions, de tous formats et genres, reçus en réponses à cet appel lancé par les biais des réseaux sociaux ou depuis leurs bureaux numériques, mais les ont-ils imprimés, pour monter un jeu de 24 cartes à jouer, et affiner, détailler cette sélection ?

Annaelle Terrade / Ambares et Lagrave / serie Le Hameau de la Clairiere. 2020

Par ce qu’il n’était pas simpliste, ni équitable mais sensible et profitable, de construire cette forme d’exposition, originale et généreuse, d’une diversité des esprits. Pour sélectionner ceux qui allaient tracer les lignes, exsuder les parfums, capter les sons et prêter des images à ses autoportraits, il fallait passer une couche d’apprêt et définir un cadre, soit en paysage ou à l’italienne ? Apaisé ou polémique, sociétal ou divertissant ? Dans une région en pleine expansion et en proie à de rudes questionnements et à de versatiles valeurs, entre l’arrachage des pieds de vignes, la hausse du niveau des eaux, un bassin d’emploi où une précarité administrée par l’associatif, côtoie un environnement jaloux de ses privilèges de successions en mode supérieur.

Ou avec ses limites, Bordeaux qui est étirée par l’extension tous azimuts d’une métropole devenue gargantua problématique. Quand l’on ausculte les nouveaux quartiers aux âpres réalités urbanistes sortis de terre à Brazza et les extensions dîtes d’Euratlantique, plantant comme « avenir » une vision concentrationnaire contrainte du disponible aux arrivants, en cloisonnant leur temps d’existence entre activités, stationnement et un habitat parking où reposer ses yeux la nuit.Qui vit là ? qui y sera heureux et se définira dans cette foisonnante nouveauté, dans cette partie-là ? Comme l’aura brillamment illustré Antoine Bouter dans son documentaire Ici Brazza (2023).            

                                                       On retrouvera un peu de cette évocation, dans « autoportrait d’un territoire » d’arc en rêve, cette ultra-réaliste vision des promoteurs, au travers du building des activités de l’espace UCPA par l’agence NP2F, du quartier Brazza. Un projet à filet sur roof top qui doit son élection à l’exposition par l’originalité de son esthétique, adoubée par l’évocation du Bauhaus et cette exotique citation en Gironde, de restrictions des PLU au Japon ou en mégalopole coréenne ou brésilienne adapté en territoire Brazza. Car même si l’espace frappe par son originalité, dans une métropole où l’on pourrait aisément étaler les terrains de course ou les stades, mais que c’est là aussi où l’on ne se déplace pas assez souvent, quand c’est trop ‘’loin’’, alors c’est un lieu qui marque le quartier émergeant comme un phare de retrouvailles et d’une direction pour les circulations célibataires en mal de repères et d’un lieu de vie de quartier.

Myrha Morvan / Rue Montesquieu 2023

                                                       Pour citer, d’autres projets parus dans l’exposition, nombreux et divers. Ce seront les bruits d’une feuille dans la rue Montesquieu par Myrha Morvan qui décrivent les surfaces filantes. Quant aux questionnements selfie des jeunes générations qui sont photographiées par Mark Lyon, ils semblent entrés en confession avec « Tu crois en quoi ? » exalté par leur sincérité.                                                      

« Tu crois en quoi » Alyra -2025©Mark Lyon

À noter, l’intéressant échantillonnage de bancs publics qui ponctue les stations de la visite, des pauses imposées par la diversité de lectures, nombreuses, des cartels sur petites bannières. Bancs publics, où, quand ces lieux hautement symboliques soulignent leur statut contesté d’une ville partagée. C’est ici, où l’on peut s’asseoir un petit moment de calme et de repos, quand on est âgé et en marche, mais ces havres municipaux, pour reprendre son souffle sont questionnés et revendiqués également par une population qui dérange et stationne parfois là, à défaut d’avoir trouvé un sens autre à sa vie qu’une prochaine dose de stupeur et un refuge pour dormir entre ses chiens, d’où la disparition des bancs pour des blocs de gisants allongés en bétons froids, entre autres variations de blocs anti paniques en pause rapide.

                                                       Parmi les exemples d’action piochés parmi les traits tramant cette œuvre collective, le Leporello d’un catalogue qui tient du dépliage de carte Michelin : avec « cdlt » qui nous lie tous ensemble, sous un même ciel aux nuages roulants ; ou la délicatesse d’Yves Gaté et son paysage de parcelle et de lotissements et maison et d’arbres avec routes et sillons en céramique biscuit. Le « Bruit du Frigo » dans son ensemble stylise un plan type itinéraire pour ballet de sorcière Manga, afin de cheminer en randonnées sur la métropole entre des refuges urbains orignaux comme points de ralliements.

C’est aussi un témoignage en ingénierie de l’économie et à la mobilité durable, tels ces projets de maison à partir d’une même armature de béton à destination de deux projets aux architectures adaptés en deux versions économiques à Bordeaux et au Cap Ferret par le cabinet Fabre de Marien. Ou et encore parmi d’autres fenêtres des réalités, cette interrogation ouverte de l’une à l’autres, parmi les 25 propositions retenues qui ajoutent parfois d’autres fenêtres de réalités plus inopinées ou se faisant désirer, amenant d’autres questions existentielles.

Fabre de Marien -L’Herbe Cedres / Lege-Cap-Ferret-2023-photo ©S.Chalmeau

On espérait une forme définitive, même si renouvelé, comme là ou s’affiche et s’imprime les photos choisis l’une sur l’autre des prises de vues de Sabine Delcour dans son observation aigüe des ‘’portes’’ d’entrées dans la métropole, aussi diverses et ZAC compatibles que comiques, mais c’est aussi un de ces clin d’œil qui sera renouvelé jusqu’au mois de décembre.

Sans doute ; le plus important reste de toujours motiver le public et sa curiosité performative dans une exposition originale, accompagner son déplacement dans la visite, car ce n’est pas qu’une pratique à laquelle on assiste, mais que l’on construit par la disponibilité des sens, de la vision à l’ouïe ou par le toucher.                                        Afin de se trouver englobé dans cette perception d’un portrait multiforme se dessinant dans notre sensation, celle d’un territoire riche et jaloux de sa superbe passée, qui doit passer relais aux suivants, eux-mêmes doivent y insuffler leurs sens de vie et des habitations.       

                                   

Rayan Delbauche / serie Traversee improbable / workshop Bordeaux.ENSP Arles 2024

La collection formée par ces multiples supports, entre toutes les propositions par matériaux, les objets et les impressions de ces outils multiples n’étant pas appelée à être conservée, puisque Arc en R^ve est un lieu d’exposition, de transformation d’explication et d’éclairage, mais pas de conservation, on gardera son impression pour soi.       

Un volume édité sera publié suivant cette exposition, pas un catalogue donc mais un retour sur expérience.                                            

Et, c’est peut-être, lors de l’édition anniversaire de cette exposition, dans un futur que certains n’imaginent même pas, quand se croiseront ces évocations, que le sourire complice aux réalisations reconnues et aux utopies passées s’imposera.

Aida Lechugo Cite Blanche / serie Traversée improbable

                                                                                                                                                                                                                

                                                                                                                 

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