Touchez du bois

Promenons la forêt

Loin d’une simple invitation à flâner parmi les arbres, l’exposition Les pièces de la forêt présentée au centre d’architecture Arc en Rêve à Bordeaux invite à un geste audacieux : transporter la forêt. Déconstruite, assemblée, rassemblée, les écorces, signes et éléments des bois, entre morceaux d’essences découpés ont été récoltés dans les forêts des Landes de Gascogne. Un jeux de construction pour mieux inviter à explorer ces domaines qui composent un territoire unique en Europe. Cette exposition, conçue par le collectif d’artistes et d’architectes et chercheurs lituaniens Neringa Forest Architecture, interroge nos rapports à la sylviculture, au design, et au rôle des forêts dans nos paysages culturels, intimes, historiques et industriels.

Une forêt en kit, tactile et sensorielle.

L’exposition, où la forêt est littéralement débitée en multiples pièces propose une scénographie immersive et constructive. C’est un espace d’appréhension participatif. Des bâtons, planches et feuilles de bois et leurs dérivés, comme plaques de contreplaqués et cartons composent autant d’éléments manipulables invitant à un jeu d’assemblage grandeur nature. Suivant une introduction vidéo dans le hall d’entrée décrivant les espèces de la nature dans la forêt et première partie de l’exposition, la salle centrale est tendue de parois souples et arrondies. Une capsule tendue de feuilles odorantes, issues d’essences de pins des landes, dont les pulpes servent de colonnes de soutien, ce qui plonge le visiteur dans un univers tactile et olfactif, résonnant et sensible. Des tables de projection y virevoltent en permettant de jouer aux superpositions de feuilles de gélatines et aux descriptions d’essence des feuilles des bois, en piochant parmi des collection de feuilles et brindilles récoltés dans une promenade, collecte qui servira de socle d’animations pédagogiques des scolaires qui seront accueillies jusqu’au 25 Mai 2025. Visiteurs de tous âges et genres pourront toucher écorce et palper la lignine, interroger les cercles des souches ou manipuler une planche ou un bâton dans un acte de construction ludique et méditatif.

Ce travail est la suite d’une rencontre des équipes d’Arc en Rêve lors de la Biennale d’Architecture de Venise. Où, tout est parti d’une balade dans l’isthme de Nida, avec une question d’enfant qui a éveillé leur conscience pour ce travail, influencé par les paysages forestiers des côtes baltiques et scandinaves, base de leur exposition. Invités par le directeur d’Arc en Rêve, ils ont établi un parallèle entre les forêts maritimes et les marais salants de ces régions du nord de l’Europe et les territoires des Landes françaises. Ce dialogue s’inscrit dans une réflexion sur la sylviculture industrielle, initiée en France à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec l’implantation des pins maritimes pour drainer les sols lacustres et développer une économie basée sur la résine et le bois. Un panneau chronologique de l’histoire du territoire des Landes et les parallèles de l’histoire de France situent ce territoire dans une illustration de l’organisation d’une nature planifiée. Des panneaux explicatifs avec un code couleur et graphique où ronds et carrés de couleurs résument cette exploration à déplier, en quelque sorte pour explorer l’histoire et la culture de chaque essence de bois. Par exemple, le pin des Landes, héros de l’aménagement forestier français au XIXe siècle est éclairé grâce aux travaux de l’INRA et des ingénieurs comme Jacques Sargos, il y est présenté avec des anecdotes sur sa résilience face aux maladies des essences de bois et son rôle dans la construction de paysages durables.

Illustration : Salle principale de l’exposition Les pièces de la forêt, où des panneaux de contreplaqué et des bâtons invitent à une manipulation créative. © Bertrand Boucquey.

Arbre et enfance

Les forêts de l’enfance, souvenirs en Vexin, L’exposition résonne profondément avec des souvenirs d’enfance, passés dans un lotissement en plein bois, dans la région du Vexin. Là-bas, chaque arbre avait une histoire. Comme ce noisetier, parfait pour tenir le poste de sentinelle des après-midis du mercredi, un petit bois derrière la maison où construire des cabanes, les deux hêtres protecteurs sous lesquels nous jouions et ce chêne qui semblait être le gardien de notre jardin, alors qu’un couple de fins bouleaux blancs servait de concierge devant la voiture des parents.

Des forêts mystérieuses habitaient alentours comme le bois de Serans, que l’on appelait la colline Molière traversée par un chemin éponyme et couronnée par une antenne de télévision, éminence technologique ou pour notre après midi de jeux, poste d’une avant-garde ennemie, fantastique destination entre petits voisins armés de bâtons juchés sur nos vélos déraillants. Les lieux des enfants, où l’on pouvait monter jusqu’au sommet d’un arbre sans effort, un acte naturel où s’approprier l’univers de nos voisinages. A l’image du baron perché d’Italo Calvino ou des aventures criminelles et hallucinées du Pandore au Congo d’Albert Sãnchez Piñol (à découvrir pour ceux qui aiment les imaginations baroques, perchées.. dans les arbres.).

Les pins parasols qui bordaient ce sommet de collines, encadrées des prés et des champs d’agriculture, l’entrée de notre territoire, sur la route de Magny en Vexin à Gisors, menant à la route d’accès au lotissement. Ces pins avec leurs branches formaient comme une arche végétale, ils dansaient le signal de retour presque enchanté vers nos arbres et cabanes. Ces souvenirs, où nature et enfance s’emmêlent, résonnent avec l’idée des forêts qui ne sont pas que lieux d’exploitation ou de chasse, mais espaces symboliques, où se construisent les légendes, un territoire de l’imaginaire.

Activiste en branche.

Et citons Un activiste qui aime les arbres jusqu’à la passion y dormir, y réver, les défendre et manifester pour la sauvegarde de leur intégrité, Thomas Braille que l’on a vu récemment dans un spectacle offert par la Mairie au Fémina de Bordeaux, afin de célébrer la semaine de l’engagement dédié aux bénévoles des associations, une moment présenté par Pierre Hurmic, maire écologiste à passion variable pour les arbres, selon les axes de circulation..

Arbre des inspirations

Art et forêt des plages, une exposition Galerie Zone Trois- EN connexion entre l’art et la nature des bois, trouve son écho dans l’exposition des encres marouflées sur toile de Sébastien Mahon de la galerie Zone Trois à Bordeaux. Galerie nichée derrière les entrepôts Lainé qui présente une série d’œuvres explorant les tensions d’inspiration des lavis d’encres de couleur, entre les bois, feuillages, cimes et ramures autant de matériaux où l’esthétique naturelle est convoquée. Des brillances entre les verts des feuille et des profondeurs de bois sont autant de projections magnifiées et lumineuses elles créent une sensation interactive entre univers graphique oscillant entre palpable au virtuel. La densité des teintes des formats baignées de lumières bleutées et vertes aux nervures oranges ou rousses évoquent des sous-bois enchantés, tout en interrogeant l’évocation de l’indicible et de l’intime dans notre rapport à la nature.

Le bar avec des formes : une architecture du bois inspirée du Bauhaus. À quelques mètres sur d’autres quais, un lieu singulier attire l’attention : Le Bar avec des Formes pour Nom, quai des Salinières. Dans un espace tout en longueur dont les murs sont tendus d’essences de bois, une marqueterie précieuse et froide où les fondateurs  ont assemblés une esthétique évoquant les créations des artistes et architectes de l’école du Bauhaus. Chaque détail du décor évoque une histoire, des lambris de bois clair aux luminaires suspendus et assises minimalistes qui évoquent cet équilibre entre utilitarisme fonctionnel de l’époque industriel et modernité des recherches esthétiques des fondateurs du Bauhaus tels Walter Gropius (1883-1969), Jonathan Iten (1888-1967) ou László Moholy-Nagy (1895-1946), entre autres théoriciens de l’utilitarisme et de la fonction et plasticiens de la forme et de la lumière. C’est un lieu où la matière brute et la conception épurée se côtoient créant un espace inspirant. Les motifs géométriques – des cercles, triangles, hexagone ou carrés de couleur – résonnent dans un effet de synchronicité avec les codes graphiques utilisés dans l’exposition Les pièces de la forêt chez Arc en Rêve pour décrire les essences de bois des jeux de construction proposés aux visiteurs et leurs situations géographiques dans les landes.
Illustration : Photo ©B.Boucquey- Intérieur du Bar avec des Formes, où géométrie et bois se mêlent dans un cadre exigeant ou les cocktails fumeux et savants sont servis avec glaçons carrés

Pour voir plus loin, eexplorer la Forêt des Landes de Gascogne signalons ce documentaire en libre accès à la réalisation sensible :Après le Feu sur France 3.

En forme de clôture de cette exploration dans les Forêt urbaine et mythes on évoquera un moment suspendu Place des Quinconces. Où Bordeaux, plongée dans un brouillard d’automne de fin d’après-midi, ce vaste espace, animé ce soir-là de brocantes et rencontres humaines, s’était transformé en une forêt urbaine fantastique. Les silhouettes des passants disparaissaient dans la brume, évoquant des figures de contes et légendes. La lumière d’un tramway, perçant l’obscurité, ponctuait l’horizon d’un halo rouge, comme une balise lumineuse d’un monde onirique.

Photo : La Place des Quinconces embrumée, avec un tramway au loin, signalant sa présence
d’un rond rouge lumineux ©B.Boucquey.
  • Capturé le moment suspendu, rappel d’une forêt, qu’elle soit réelle ou urbaine demeure un espace de mystère et d’évocation, une toile où se composent les récits de notre humanité.

Forêts, racines des rêves. L’exposition Les pièces de la forêt d’Arc en Rêve fonctionne comme un rappel que nos forêts sont bien plus que des ensembles d’arbres. Elles sont entre autres écosystèmes, des matières premières, mais aussi des lieux de mémoire et d’évocations. À travers des références artistiques, architecturales et personnelles, ce moment à Bordeaux des rendez-vous où l’art et le design sont mis en valeur tissent un dialogue de pratiques entre passé et présent, entre nature et urbanité.

Les forêts, qu’elles soient celles de l’enfance ou celles recréées dans une salle d’exposition, rappellent que les racines des arbres leurs ramures et les évocations de leurs splendeurs comme celles des bois des région du pays de Caux ou du Vexin, aux détours aussi profonds soient-ils, nourrissent nos promenade des imaginaires, notre liberté d’être et de penser.

On est toujours mieux en compagnie des arbres, la symphonie d’or jaune des Gingko du Jardin Public invite un temps pour la contemplation, le recueillement, au calme et à la respiration.

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